Article paru dans Rue89 Strasbourg du 17 février 2022
Les quatre élus d’opposition au conseil départemental demandent un travail approfondi sur la protection de l’enfance en Alsace via une mission d’information et d’évaluation (MIE). Une « posture politicienne », selon le vice-président en charge Nicolas Matt.
La question de la protection de l’enfance devient un sujet de tension à la Collectivité européenne d’Alsace (CeA). Les quatre élus et élues écologistes proposent une mission d’information et d’évaluation (MIE – voir encadré) sur le sujet. Une demande de transparence de la part de l’opposition qui braque la majorité. Une MIE est un travail approfondi d’audition des spécialistes d’un domaine sur une période de six mois, qui débouche sur un rapport public.
« 300 mineurs en attente d’un placement »
Dans une enquête de Rue89 Strasbourg sur le Foyer de l’Enfance (qui regroupe un site principal à Strasbourg et treize autres unités plus petites disséminées), les travailleurs sociaux témoignaient des difficultés croissantes et du manque d’encadrement. Malgré des hausses de budget, le taux d’encadrement restait identique.
« Actuellement, 300 mineurs confiés à la CeA sont en attente d’un placement effectif. Dans le Bas-Rhin, 527 mineurs confiés à l’ASE sont en situation de handicap sans que tous ne bénéficient d’une prise en charge adaptée », affirme le courrier des élus écologistes, à l’adresse des autres élus de la majorité pour s’associer à cette demande de MIE. Ils reprennent des chiffres votés par l’Assemblée de la CeA en octobre 2021 lors de l’adoption d’une « stratégie nationale » déclinée dans le Bas-Rhin jusqu’au 31 décembre 2022.
Seuls opposants, les écologistes strasbourgeois ont besoin de rallier au moins 12 des 76 élus de la majorité à leur cause. Il faut 20% d’élus pour déclencher une MIE.
Pression sur Frédéric Bierry
Le sujet est sensible politiquement. D’autant que le président de la CeA Frédéric Bierry (LR) a une visibilité nationale sur la thématique : il exerce des responsabilités sur la protection de l’enfance à l’Assemblée des départements de France (ADF), une sorte de syndicat des conseils départementaux. S’il devait ignorer la proposition des écologistes, cette réponse pourrait donner l’impression d’un malaise de l’élu LR vis-à-vis de l’état de la protection de l’enfance au sein de sa collectivité. En rendant publique leur demande du mercredi 9 février, les écologistes mettent ainsi la pression sur Frédéric Bierry et ses collègues.
À Strasbourg, 4 missions en 4 ans
Prévues et encadrées par la loi, les Mission d’information et d’évaluation (MIE) relèvent de cas exceptionnels. Mais elles font partie de la vie des collectivités locales sur les sujets complexes. À la Ville de Strasbourg, des MIE ont été lancées récemment sur l’avenue du Rhin en 2018/2019 ou depuis le nouveau mandat sur l’avenir de l’Opéra et la questions des rats en ville. À l’Eurométropole, l’opposition a provoqué une MIE sur l’avenir de la géothermie profonde suite aux séismes.
En règle générale, le long travail d’audition de spécialistes pendant plusieurs mois par une poignée d’élus est salué par la majorité et l’opposition, même si ensuite les positions divergent sur les mesures à prendre. « Sur les rats, on n’a rien appris. On sait qu’il faut des actions pour dératiser, un comité de pilotage aurait fait le même travail sans bloquer l’action publique », minimise Nicolas Matt, peu enclin à voir une MIE similaire dans la collectivité où il est en responsabilité.
Le courroux de la majorité
Dans les rangs de la majorité, on prend cette demande comme une marque de défiance, « à la limite de la déloyauté », qu’on met sur le compte d’une « posture politicienne », comme l’affirme le vice-président en charge de la protection de l’enfance. Nicolas Matt (LREM) ne conteste pas les difficultés dans ce domaine (« On sait qu’elle ne va pas bien ») ou les chiffres avancés (« C’est justement grâce au travail en commun qu’ils les ont »). Mais il conteste le timing :
« C’est une thématique difficile avec une demande croissante. La situation est liée à un tas de facteurs, comme les difficultés de recrutement, qui ne dépendent pas que de nos collectivités. Nous allons faire des propositions qui répondront aux attentes lors des orientations budgétaires en février, puis lors du budget le 11 mars, avec des moyens supplémentaires qui répondront aux attentes. Ils le savent très bien. »

Ludivine Quintallet : « Le sujet ne doit pas être tabou »
Début janvier, Nicolas Matt avait indiqué à Rue89 Strasbourg que 71 places supplémentaires serait créées et que les bâtiments seraient rénovés à hauteur de 24 millions d’euros dans les prochaines années. Selon les écologistes, les orientations budgétaires débattues le 21 février mentionnent bien l’ouverture de 100 places courant 2022, en plusieurs phases. « Nous saluons l’augmentation de moyens, mais nous pensons que c’est aussi une question d’organisation et de conditions de travail, notamment sur l’encadrement par enfants », estime le président de groupe Florian Kobryn.
Impliquée plus spécifiquement sur la protection de l’enfance, Ludivine Quintallet précise les attentes avec la MIE :
« On ne dit pas que tout est de la faute du Département, mais qu’on doit avoir un travail politique sur cette question. C’est une politique du Département, le sujet ne doit pas être tabou. Il faut une transparence sur le fonctionnement des structures gérées par le Département et sur le choix des prestataires. L’argent est-il utilisé pour des embauches ou des frais de structure ? On a vu avec l’Arsea que des moyens supplémentaires pouvaient être donnés sans que cela se traduise par des embauches ».
Une heure de discussion depuis juillet
Nicolas Matt, qui est aussi opposant à la Ville et l’Eurométropole de Strasbourg, estime qu’à la CeA, une MIE est bien moins adaptée :
« Il y a des sujets où la MIE est adaptée et où des états des lieux sont possibles. Mais à la CeA, nous avons des commissions thématiques où l’on travaille les sujets en amont, ce qui n’existe pas à la Ville et l’Eurométropole. Nous avons fait un panorama complet en début de mandat sur la protection de l’enfance et nous avons des points très fréquents. Si on fait une mission d’information, ce seront les mêmes techniciens que nous interrogerons. Je ne vois pas ce qu’ils attendent de plus. Tous les chiffres sont à disposition. »
Une déclaration d’ouverture qui surprend Ludivine Quintallet. « Depuis le début du mandat (en juillet 2021 ndlr), nous avons abordé la question environ une heure, avant l’adoption de la stratégie nationale et c’est tout. J’ai pourtant sollicité Nicolas Matt à de nombreuses reprises sur cette question, mais je n’ai jamais eu d’entretien ». Selon les ordres du jour de la commission qu’à pu consulter Rue89 Strasbourg, un point d’information protection de l’enfance apparait en effet uniquement à cette occasion. La commission se réunit environ tous les mois pendant deux heures.
Mais les deux parties font un récit totalement opposé de ces réunions. Pour Nicolas Matt « on en parle à chaque séance, on est dans l’échange » au détour des autres points. Ce que concèdent les écologistes, mais « ce n’est pas à la hauteur de l’enjeu », dixit Florian Kobryn. Ce dernier a eu un entretien face à face avec Nicolas Matt sur divers points, mais ce n’est pas le cas de Ludivine Quintallet malgré ses demandes. « Elle a dit que le Département ne faisait rien sur ce sujet alors que le budget a augmenté de l’ordre de 20% lors du mandat précédent », tacle Nicolas Matt.
La MIE débattue lors de l’assemblée du 21 février
Pour le président de groupe Florian Kobryn, une MIE est bien plus conséquente que le travail en commission :
« La commission se réunit une fois par mois et traite de nombreuses thématiques, comme les collèges, le sport ou le bilinguisme. Et lorsqu’il n’y avait aucun sujet à voter comme en janvier, elle ne s’est même pas réunie, alors que c’était l’occasion de réaliser un travail de fond. (Suite à la parution de l’article « aucune commission n’a été annulée en 2022 » nous a fait savoir Nicolas Matt. Florian Kobryn répond qu’il a confondu avec la commission du 18 novembre, qui a bien été annulée ndlr). Une MIE est bien plus adaptée avec des auditions sur un calendrier resserré. Enfin, elle aboutirait sur un rapport voté avec des éléments transparents, contrairement aux comptes-rendus de commission qui n’ont pas vocation à être publics. «
Face à ce dialogue de sourds, Nicolas Matt estime qu’il « faut un débat public sur cette question ». Ça tombe bien, la prochaine séance de l’assemblée de la CeA est prévue lundi 21 février à Colmar.